La colère saine pour retrouver l'estime de soi et l'apaisement
J’ai 9 ans.
Noël.
Papa se saoule plus que d’habitude. Il est encore plus violent. Plus que le soir de la louche en argent. Pire. Surtout avec Maman.
Je retrouve les cheveux de Maman par poignées dans le couloir. Il y a des hurlements. Je ne sais pas où sont les autres enfants. Elle lui reproche sa liaison, de nous avoir trahis. Elle reçoit des coups de poings un peu partout. Je m’interpose, à mes dépens. Papa, s’en va finalement. Je crois que c’est grâce à moi. Il nous laisse dans une chambre. Je tremble de tout mon corps. Je suis terrifié, envahi par l’angoisse qu’il revienne. Comme s‘il pouvait revenir et cette fois-ci nous tuer. Maman me voit trembler. Elle prend mes mains. Elle me dit: «Arrête de trembler». Nous savons que Papa est parti à Lorient retrouver cette femme et que nous avons du temps. Mes frères et sœur sont terrifiés, épuisés. Ils regardent Maman, suppliants. Maman réfléchie. Elle nous dit de prendre nos affaires, cartables, vêtements. Elle passe un appel à Grand-Maman. Nous quittons la maison en passant par les bois, pour ne pas prendre le risque de croiser Papa.
Il est minuit je crois. Nous sommes tous chargés de nos affaires. Même si je tremble encore, je suis soulagé. Nous traversons un champ, les bois noirs. Il fait froid. Nous voyons la maison de Grand-Maman. Je remercie Dieu en arrivant. Maman va nous protéger. La vie va enfin changer.
Les jours qui suivent sont angoissants. Grand-Maman est dure avec Maman. Son ton est sec et remontrant. Nous vivons à 6 enfermés. Grand-Maman, Maman, Sophia, Jérémy et moi. Il y a Cyril aussi. Maman l’a emmené même si elle n’est pas sa vraie maman.
Pour obtenir un appartement, un travail et des aides, Maman va à la mairie. Au nouvel an Sophia va chez une amie. Elle revient le premier janvier avec des chocolats qu’elle partage avec nous trois, Cyril, Jerem et moi.
Le maire décide de nous loger dans un appartement de trois pièces à Moulin du pont. À L’étage d’un Gîte rural, à quelques kilomètres de Doëlan. Nous allons avoir un chez nous. Juste avant la rentrée, il nous faut déménager, réunir nos affaires. Partir nous installer.
Maman nous demande de nous préparer : « On » vient nous aider en voiture. Mystérieuse, elle attend impatiemment en regardant par la fenêtre. Je suis dans la chambre quand on m’appelle pour partir. Je ne comprends rien en sortant de chez Grand-Maman. Mon cœur se met à battre d’angoisse en voyant Papa sortir de sa voiture. Je vois Maman lui sauter au cou. Pire, elle l’embrasse amoureusement, avec la langue. Elle se sert contre lui comme si rien n‘avait été. Comme s’il ne nous avait jamais frappés.
Je vacille. L’image est un coup de poing.
Je suis dégoûté par cette femme qui se respecte si peu, qui nous traite comme des animaux. Des petits chiens. Des petits êtres de compagnie, secondaires, sans vrais besoins. Cette femme qui se fiche de notre besoin de paix et de sécurité.
Je ressens le plus grand abandon de ma petite vie, une sensation d’être si peu important à ses yeux. Ma protection, ma santé mentale, mon équilibre, tout cela n’a aucune valeur face au désir sexuel de cette femme. Je sens que c’est cela, la passion qu’elle a pour cet homme pourtant dangereux, violent, infidèle et menteur, qui la rattache à lui. « Ça » qui prime de loin devant nos vies.
Je me sens si peu de chose à cet instant. Certainement plus un enfant. Je pense : « Être un enfant n’est absolument pas intéressant pour être aimé de Maman, ou protégé par les grands. » Je perds l’estime de moi. Je ressens que ce qui a du pouvoir dans le monde, ce n’est pas l’innocence et l’amour comme celui que j‘ai pour elle. C’est le pouvoir de l’attraction sexuelle.
Grand-Maman, sur le pas de sa porte, les bras croisés, vocifère à sa fille: «Eh bien! C’était bien la peine de faire tout ce cinéma! » Je voudrais rester avec elle. Je voudrais « divorcer » de mes parents. Ils me font peur et mal en même temps. Ils démolissent mon monde d’enfant, mon cœur, ma tête et tout dedans.
Nous chargeons la voiture. Ces deux étranges adultes nous emmènent au gîte qui sera notre nouvelle maison. Papa nous aide à nous installer. Moi, je digère ces émotions. Je cache mon dégoût de leur comportement. Je me cache à moi-même ce dégoût de Maman : Je ne peux pas vivre sans quelqu’un à aimer. Je la garde dans mon cœur, à la première place après le Seigneur.
Je sais que je me mens. Je le sais car je sens une énergie affreuse qui me rentre au goute à goute dans l’organisme. Insidieusement, la pensée que le vrai pouvoir sur terre pour être aimé est d’être sexuellement désiré. Elle s‘installe dans mon esprit. Petit à petit. Je sais, je sens que c’est ce sentiment qui sonne la fin de mon enfance et le début de gros ennuis.